ACCEPTER L’INACCEPTABLE ?
Le Covid 19 constitue d’abord un choc psychologique, un traumatisme brutal, d’autant plus déstabilisant qu’inattendu, mais surtout invisible. Il s’empare rapidement malgré sa taille microscopique de la quasi-totalité de la planète, s’acharnant contre ses habitants sans défense.
Il ne faudrait jamais se fier aux apparences, toujours trompeuses, évidemment.
Ne vous moquez pas de la petitesse d’un grain de poivre, croquez-le pour percer sa puissance !
Nous venons de sombrer sans transition d’un excès à l’autre, d’un contexte de paix et de sécurité mais aussi de liberté illimitée de contacts et de mouvements, à un climat de « guerre », de panique, d’insécurité et de confinement
Nous voici contraints de nous isoler chez nous, de nous couper de tous ces précieux liens, quasi vitaux parfois qui nous reliaient aux autres et au-dehors. De plus, l’ignorance de la date de sortie du tunnel et l’incertitude notamment quant aux chances de sa propre survie, ne font qu’accentuer notre malaise : la vie semble ne tenir parfois qu’à un fil !
Nous étions convaincus, il y a encore peu, pourtant de notre invulnérabilité face à ce genre de scénario de science-fiction. Nous étions si confiants dans notre modernité, savoir et techniques, nos richesses, médecine et pharmacopée ainsi que nos protections sociales.
Il arrive toujours ce qu’on n’a pas prévu lorsqu’on aura tout prévu !
Notre fantasme de toute-puissance et de maîtrise vient de s’écrouler comme un château de cartes, nous dévoilant les failles et les limites que nous cherchions à dénier.
Il est certain que l’opulence dans laquelle nous avons vécu depuis d’un demi-siècle, la consommation sans limites des biens et des personnes, la sécurité et le confort ainsi que le refus des souffrances morales et physiques ont appauvri notre système immunitaire de défense au détriment de notre autonomie psychique.
Il existe face à la pandémie actuelle, deux sortes de visions diamétralement opposées, antagonistes : la première laxiste et la seconde alarmiste. Certaines personnes utilisent comme mécanisme de défense, le déni : elles s’ingénient à démontrer que le risque a été singulièrement exagéré à dessein, grossi à des fins de manipulation au service des intérêts occultes de puissances politiques ou économiques. Elles se moquent de ceux qui craignent pour leur survie et/ou pour celle de leurs proches. Elles leur reprochent leur manque de courage, leur couardise, leur obsession de tout désinfecter.
Le déni révèle, en fait un mécanisme de défense, rigidifié au cours des ans, contre une angoisse, voire une détresse intérieure insupportable, ingérable par un Moi devenu fragile, comme le cristal : plus on se croit médiocre et plus on devient vantard !
La difficulté, voire l’impossibilité pour ces personnes d’accueillir, de ressentir et éventuellement d’exprimer leurs émotions qualifiées arbitrairement de négatives, comme la peur, la culpabilité, la dépression, ne démontre pas l’existence d’un psychisme sain et solide, assuré et affermi mais bien au contraire, friable, anémique.
Question : « Savez-vous pourquoi le tambour résonne-t-il si fort ? »
Réponse : « Parce qu’il est creux ! »
Craindre exige sans doute davantage de courage ! Toute prétention orgueilleuse d’invulnérabilité psychique est destinée à camoufler, mais à révéler en même temps, par compensation un délabrement intérieur, une misère et une insécurité profonde.
Ce genre de fanfaronnades puériles risque de placer évidemment leur vie mais plus tristement celle des autres en danger en raison de passages à l’acte faussement héroïques, mais en réalité ordaliques, jeux de cache-cache avec la mort, sorte de roulette russe !
L’amour de soi et celui de son prochain allant toujours de pair, c’est en prenant soin de sa personne que l’on réussit à préserver les autres.
L’alternative manichéenne entre l’égoïsme et l’altruisme avec ses injonctions sacrificielles ne profite ni à l’immolé, ni à l’immolateur !
La seconde catégorie de personnes s’enlise, à l’inverse, dans un état de panique extrême face aux risques de contamination : la crainte de la mort leur parait une échéance incontournable. La cessation du travail, la mise entre parenthèses des contacts sociaux, l’immobilisation dans un espace restreint, l’interruption des activités distractives, sportives, bref la pénurie de stimuli et excitations extérieures font apparaître chez elles un tableau anxio-dépressif.
Ces sensations pénibles d’étouffer, comme emprisonné au fond d’un puits, de dépérir, coupé de tous et de la vie, ravivent l’inquiétude d’inexister.
L’effroi de ne plus être vivant parmi les vivants, dans un corps réel et entier, puisque privé de regards, d’attentions et de touchers envahit l’esprit.
Bien sûr, il est toujours possible, les médias nous y encourageant d’ailleurs, de se raccorder à la terre entière grâce aux nouvelles technologies, mais il ne s’agit là que d’images/mirages, virtuelles, désincarnées, fugaces, laissant place dès qu’on a mis le doigt sur « off » à un vide encore plus abyssal !
Ces deux approches de l’épidémie du Covid 19 n’ont, évidemment, rien à voir avec l’intelligence, ni le niveau culturel ou la richesse de chacun.
Elles s’avèrent irrationnelles exactement comme les théories complotistes essaimant lors de chaque catastrophe, réfractaires à tout raisonnement, imprégnées de charges affectives et fantasmatiques puissantes : certains comparent cette maladie à une simple gripette, fondant bientôt comme la neige sous le soleil de’ printemps….
D’autres tremblent de peur, à l’inverse, sombrent dans le désespoir face à l’apocalypse débutante.
En réalité, ce bouleversement, perçu de deux manières opposées, les premiers chez les confinés « baroudeurs » et les seconds « froussards », qu’ils soient seuls, en couple ou avec des enfants, n‘est pas occasionné totalement par le Covid 19 : ce virus déclenche des craintes, certes, tout à fait légitimes, mais il agit surtout comme un déclencheur/révélateur.
Il fait surgir, plus fondamentalement, toute la détresse intérieure, antérieure, ancienne que le sujet a combattue et refoulée, accumulée, entassée dans les catacombes de son inconscient. Il est le révélateur de souffrances tues et cachées de l’enfant intérieur, de ce petit garçon ou de cette petite fille qu’il fut, oublié, abandonné délaissé donc inquiet et déprimé.
La maison-Soi est toujours habitée par deux colocataires au moins : l’adulte engagé dans son « ici et maintenant » et son enfant intérieur aussi, davantage aux commandes parfois, malgré la maitrise affichée de l’adulte, bien plus agi et parlé qu’acteur et parlant.
Ce n’est vraiment jamais lui qui souffre, mais à travers lui son enfant intérieur, victime naguère d’insécurité et de maltraitances, de privation d’amour, de carence d’enveloppement.
Une rupture sentimentale ou un licenciement n’engendre pas mécaniquement une dépression sévère, poussant la victime à se donner la mort et parfois même à supprimer ses proches : un abandon subi dans le présent se reconnecte dans l’inconscient à tous les autres éjections/licenciements/ maltraitances endurés dans l’enfance
Un traumatisme réel extérieur aura d’autant plus d’impact et sera d’autant plus dévastateur dès lors qu’il parviendra à réactiver et à embraser la dépression infantile précoce, déclenchée dans la petite enfance en raison d’une carence matricielle.
Curieusement, le surgissement de la dépression, suite à un choc psychologique, s’accompagne invariablement de sentiments douloureux de culpabilité.
Pour l’inconscient, la faute se situe toujours du côté de la victime innocente car impuissante.
Ainsi, la sensation pénible d’insécurité, la crainte de mourir, celle de se trouver seul, abandonné, malade et sans protection, ne proviennent pas totalement, dans un lien de cause à effet, du chaos actuel ; ces angoisses font plutôt remonter à la surface une donnée intérieure ancienne. Elles dévoilent l’état de détresse affective qui a habité le petit garçon ou la petite fille, privé de chaleur, de sécurité, de liens d’attentions et de reconnaissance, comme s’il était de trop, négligeable, inutile, illégitime en un mot !
C’est peut-être la faim d’amour, la peur de mourir et plus précisément d’inexister, qui pousse certains à prendre d’assaut les rayons des supermarchés, en ces temps curieusement de surabondance.
Il faudrait éviter de confondre le passé et le présent, l’émotion et la réalité, l’adulte et l’enfant intérieur et surtout le dedans et le dehors. Le confinement fait, par conséquent apparaître au grand jour, déconfine en quelque sorte ,la Dépression Infantile Précoce (D.I.P) responsable des parties inanimées du psychisme car dénutries libidinalement. Ce confinement n’est nullement la cause de la dépression chez l’adulte ; il est plus exactement le déclencheur/ révélateur de la D.I.P.affectant l’enfant intérieur avec tout une série de passages à l’acte malheureux hétéro et autodestructeurs comme les suicides, les violences contre les femmes et les enfants, abus d’alcool, de drogues, de nourriture et d’écrans.
La sexualité est perturbée aussi : enflammée chez certains ou en berne, notamment chez les femmes.
Ces troubles révélateurs de la dépression masquée, existaient déjà avant la survenance de la plaie Corona .
Suite au confinement, chacun se trouve face à lui-même, connecté à son intériorité, à ses fragilités et limites, à son ombre ,à ses fantômes et à sa vérité.
Il ne lui est plus possible de s’évader, de se décharger ailleurs/dehors. L’agitation extérieure, sorties, activités, occupations, déplacements, distractions, divertissements, surconsommation de médicaments, des objets et des personnes, procuraient grâce à leurs vertus anesthésiantes, euphorisantes, antidépressives, anxiolytiques, l’illusion qu’il était vivant, dans un corps réel et entier, utile, libre et aimé. L’importance souvent excessive, quasi vitale, que certains attachent aux relations avec les autres, à leurs présences et attention, à leur regard et jugement, considération et reconnaissance, à l’amour notamment, n’a rien à voir avec un désir adulte de liens mais avec le besoin infantile de recouvrer la matrice pour exorciser les angoisses d’abandon. Ils cherchent à domestiquer de la sorte la dépression refoulée, écartée, combattue mais sans cesse renaissante de ses cendres.
Cette mendicité affective, cette quête de substituts maternels, ne fait que répéter et entretenir à l‘infini le vieux scénario infantile des dépendances affectives, toxiques, perverses, sadomasochistes, subi naguère, en toute impuissance.
Je ne suis , dès lors, pas persuadé du tout qu’inciter nos concitoyens à « prendre les choses du bon côté », à « positiver », en écartant leurs émois arbitrairement taxés de « négatifs », en leur faisant croire que « l’espoir fait vivre », que « ça ira mieux demain » , en les encourageant à se divertir, à s’activer et à se relier aux autres de façon virtuelle, par écrans interposés, soit véritablement un service à leur rendre : cela risque de les cliver , de les couper encore davantage de leur intériorité !
« La plaie constitue l’endroit où la lumière peut pénétrer en vous ! » disait Rûmi, le célèbre mystique persan.
Le confinement, regardé autrement, pourrait constituer paradoxalement, une chance, une épreuve douloureuse mais féconde, initiatique, un emprisonnement délivrant, un creuset pour le changement : « Tout ce qui arrive est pour le Bien ! « déclarait un grand sage.
Il sera notamment susceptible de nous aider à moins nous plaindre et nous exciter, à moins lutter, à accepter l’inacceptable. Tout combat contre la souffrance, dépression, culpabilité, ne fera que les aggraver, au détriment du sujet, de plus en plus accablé.
Accepter l’inacceptable signifie supporter son mal-être, intégrer la solitude, ses angoisses d’abandon et d’inexistence, celles de son enfant intérieur, précisément, victime naguère de délaissement ; seul cet accueil pourrait booster l’énergie vitale en empêchant les déperditions. L’objectif principal consiste à réparer le clivage entre l’extérieur enjolivé, les autres et les objets idéalisés sur lesquels le sujet a tout misé, et son intériorité, désertée, laissée en jachère.
L’exigüité du confinement pourra inciter ainsi à se découvrir enfin, à se rencontrer soi-même, pour trouver une place ,nourri de l’intérieur, branché à ses sources profondes, moins dépendant donc des mères substitutives, moins libre peut-être mais psychiquement plus autonome.
L’essentiel sera de repérer sans culpabilité, ni jugement, à distance du manichéisme binaire infantile : « c’est bien, pas bien », « c’est positif, c’est négatif », ses émotions, cris insonores et donc inaudibles de son enfant intérieur déprimé.
Cette reconnexion aidera à s’accepter, dégagé de l’injonction écrasante de la perfection et de l’impeccabilité en favorisant un dialogue avec soi-même de préférence, plutôt qu’avec autrui.
L’enjeu consiste à devenir un peu plus soi, à être davantage, au lieu de s’agiter sans cesse, s’épuisant à gagner, à faire, à avoir !
La réhabilitation de la mère intérieure et de l’amour de soi aident à gérer le tsunami du
Covid 19, à égale distance de la panique et du déni, en adulte, avec lucidité et confiance.
Justement, ce qui différencie l’adulte de l’enfant, c’est la patience .Il serait urgent, en effet, d’apaiser son empressement de se débarrasser au plus vite de tout ce qui déplait et dérange, pour pouvoir tout reprendre comme avant , au lieu de méditer sur des façons plus saines de se traiter désormais et de se comporter avec les autres et l’environnement .